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LE MODÈLE FRANÇAIS TIENDRA-T-IL APRÈS 2015 ?

Avec son herbe et ses élevages aux normes, l'Irlande s'apprête à conquérir les marchés internationaux des produits industriels.© P.L.C.

Avec un réseau relativement dense d'élevages familiaux, la France fait figure d'originale. Mais on peut craindre que la libéralisation du marché impose une restructuration rapide.

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EN PLEINE CRISE LAITIÈRE la France réduit sa production et parle contractualisation ou gestion des volumes, quand ses voisins produisent au maximum. Ils compensent la baisse des prix en augmentant les volumes. Une adaptation évidente pour eux, qui laisse les Français de marbre. Elle est souvent facilitée par les politiques nationales d'application des quotas. Premier résultat tangible de ces contrastes, le lait étranger, moins cher, vient concurrencer celui de l'Hexagone chez lui.

Alors, se pose inévitablement la question de l'avenir du mode de production à la française. Pourra-t-on garder des exploitations de taille modeste et relativement nombreuses sur une grande partie du territoire ? Faut-il écouter les sirènes de la restructuration ? Est-il vrai que dans une économie de marché, seuls les plus compétitifs, et donc les plus gros, peuvent tirer leur épingle du jeu ? Autrement dit, l'élevage français a-t-il, comme l'affirme cet éleveur allemand, vingt ans de retard ?

RESTRUCTURATION ACCÉLÉRÉE EN EUROPE DU NORD

Le raisonnement de nos voisins d'Europe du Nord ne manque pas de logique. Produire plus quand le prix diminue, c'est ce que faisaient les éleveurs français avant les quotas. En théorie, l'agrandissement permet des économies d'échelle au bénéfice du coût de production. Et dans un marché de plus en plus ouvert, ce sont ceux qui ont les coûts les plus bas qui s'imposent.

Quand on visite des élevages d'Europe du Nord, le contraste avec les exploitations françaises est souvent saisissant. Sur le plan de la taille, bien sûr. Il est impressionnant de voir un troupeau de quelques centaines de vaches dans une pâture ou un bâtiment. Il y a les équipements aussi : le confort dans lequel investissent les Français, pour eux et pour leurs animaux, est secondaire ailleurs. Et enfin, le rythme.

Les éleveurs français privilégient leur qualité de vie quand les autres ne comptent pas leurs heures et admettent un niveau de stress élevé. Tout ceci permet à nos voisins d'être plus compétitifs avec des charges réparties sur des volumes plus importants. Ils bénéficient de coûts de production mieux maîtrisés et d'une meilleure productivité du travail. Même si ailleurs aussi, les variations individuelles sont importantes.

Ces différences de visions et de comportements s'expliquent assez bien via le mode de gestion des quotas. La politique appliquée dans l'Hexagone a bloqué toute perspective de développement pour la majorité. Les éleveurs ont compensé l'absence de croissance en volume par des stratégies visant à augmenter les produits. Ils ont joué sur la composition du lait et sur sa qualité. Le marché national, axé sur des produits laitiers sophistiqués à haute valeur ajoutée a permis de rentabiliser ces options. On peut affirmer que cette politique a donné de bons résultats. La restructuration est en France moins rapide qu'ailleurs.

EN FRANCE, LES QUOTAS ONT BLOQUÉ LA CROISSANCE

Chez nos voisins, des marchés d'achat et de location de références se sont mis en place. Les éleveurs se sont adaptés aux quotas sans renoncer à se développer. Mais la liberté de croissance a néanmoins été bridée par des règles plus ou moins contraignantes. Et surtout, ces éleveurs ont dû intégrer le coût du droit à produire dans leurs charges. Un coût souvent élevé qui justifie l'opposition de beaucoup aux quotas. Leur suppression est considérée comme un élan qui permettra à chacun d'améliorer sa compétitivité. Dans l'immédiat, les éleveurs d'Europe du Nord font face à des charges financières très élevées. Ils n'ont pas d'autre choix que produire plus pour rembourser.

La France a bien vécu ces différences depuis de nombreuses années. Mais à la veille de la suppression des quotas et avec une conjoncture catastrophique, tous les éleveurs européens s'interrogent sur les adaptations nécessaires. La France ne fait pas l'économie de cette remise en cause. Et elle a intérêt à suivre de près ce que font les voisins. Car la concurrence entre pays européens, qui s'est renforcée ces derniers mois, ne pourra que s'accentuer à l'avenir.

Pour préserver leur revenu, les éleveurs ont trois pistes : vendre plus cher, réduire leurs coûts, produire plus. La France s'accroche à la première option quand ses concurrents préfèrent les autres. Mais chacun réagit d'abord selon son propre environnement et ses avantages concurrentiels.

Les secousses conjoncturelles récentes modifient déjà les équilibres. Selon les analyses du réseau EDF (European Dairy Farmers), une majorité d'éleveurs n'ont pas pu couvrir toutes leurs charges en 2008. Mais les Irlandais, par exemple, ont amélioré leur compétitivité. Ils encaissent les bénéfices d'une production à l'herbe, économe en intrants, et donc plus résistante aux fluctuations de prix. En Belgique, on préfère miser sur le maïs, qui produit plus de 15 t de MS/ ha sans arrosage dans les zones favorables. Tandis que l'est de l'Europe s'appuie sur une main-d'oeuvre bon marché.

La chute actuelle des prix comme la perspective de la suppression des quotas poussent de nombreux éleveurs européens à produire davantage (voir infographie). Lors du dernier congrès EDF en juin, les résultats d'une enquête effectuée auprès de 1 500 éleveurs européens ont été présentés. Elle a été réalisée par l'équipe scientifique d'EDF au printemps 2009. On y apprend que les objectifs de croissance à l'horizon 2014 sont d'autant plus importants que les effectifs sont déjà élevés. C'est en Allemagne du Nord et de l'Est, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Slovaquie ou en Ukraine que les prévisions d'expansion sont les plus importantes (souvent près de cent vaches supplémentaires). Soulignons que le Danemark n'est pas concerné par cette enquête. Les objectifs restent bien plus modestes dans le sud de l'Europe, y compris en France. Les écarts actuellement observés entre pays risquent donc de s'amplifier dans l'avenir.

Cependant, tous se heurtent à des limites dans leur croissance. La disponibilité ou le prix de la terre sont cités par 60 % des éleveurs questionnés. Sur ce plan, la France ne se place pas si mal, alors que le problème est crucial en Pologne, en Belgique, en Slovaquie ou en Espagne. Ces pays cherchent à intensifier davantage. Et la marge est parfois importante. Les Polonais ou les Slovaques produisent à peine 2 000 kg de lait/ha quand les Italiens, les Espagnols ou les Irlandais dépassent les 10 000 kg.

DIFFICILE DE DÉLÉGUER LA TRAITE EN FRANCE

En revanche, la difficulté à trouver de la main-d'oeuvre, souvent évoquée en France, ne se retrouve pas partout. 40 % des éleveurs la mentionnent, essentiellement ceux qui détiennent moins de 150 vaches. Il semble que le seuil entre l'exploitation familiale et l'entreprise rompue à la gestion des salariés se situe à ce niveau. Et le cap n'est pas facile à passer. Les normes de qualité du lait, globalement plus sévères en France, rendent peut-être plus délicate qu'ailleurs la délégation de la traite.

Difficile dans ces conditions d'imaginer une explosion de la production européenne après 2015. Certes, il existe en Europe du Nord des éleveurs qui misent sur l'agrandissement pour améliorer leur compétitivité et se maintenir, même si les prix devaient rester bas. Ils ont les moyens d'y parvenir. Mais partout, la question du prix du lait est cruciale. Si la déprime devait durer, des éleveurs abandonneraient. Les contraintes environnementales pèseront sur le développement en Italie, aux Pays-Bas ou en Belgique.

La suppression des quotas ne changera pas grand-chose dans les pays en sous-réalisation chronique (Royaume-Uni, Suède). L'évolution reste difficile à prévoir là où les éleveurs ne se préparent pas encore à l'après quota (Espagne, Hongrie).

LE LAIT RESTE MIEUX VALORISÉ EN FRANCE

Et en France ? Au BTPL, Gaïd Peton, qui suit le réseau EDF, souligne que les mises aux normes se sont souvent faites avec des bâtiments surdimensionnés. On remarque aussi que l'agrandissement des surfaces qui s'est opéré régulièrement depuis plusieurs années a dilué le quota. Ce qui laisse à beaucoup d'éleveurs une marge d'intensification. Gaïd rappelle aussi l'évolution spectaculaire de la production des élevages de l'Ouest notamment, à la fin de la dernière campagne. Les réserves de productivité existent donc. Il suffirait qu'un prix du lait élevé les actionne… Par ailleurs, la valorisation du lait reste supérieure en France.

Si les étrangers peuvent rivaliser avec du lait UHT ou de pâles copies d'emmental, nos fromages ou desserts lactés restent spécifiques du marché français. N'oublions pas que quand l'essentiel du lait part sur le marché mondial (Irlande) ou est commercialisé par des hard discounters (Allemagne), le prix bas est un impératif. C'est beaucoup moins vrai des produits à haute valeur ajoutée dans lesquels le prix de la matière première pèse moins.

On voit que si, individuellement, de nombreux éleveurs affirment leur volonté de produire plus, l'augmentation des volumes produits par pays n'est pas écrite. Ceci implique donc une poursuite de la restructuration, l'expansion des uns passant par l'abandon des autres. Mais les prix bas ne font pas tout et les spécificités du marché français permettent un certain optimisme.

PASCALE LE CANN

Avec son herbe et ses élevages aux normes, l'Irlande s'apprête à conquérir les marchés internationaux des produits industriels.

© P.L.C.

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